Dark Kitchens

5 min

Comment les dark kitchens rebattent les cartes de la restauration

Quelles sont les opportunités business apportées par les dark kitchens et comment tirer profit de cette tendance partie pour durer, quand on est déjà restaurateur, ou qu’on veut se lancer ?

Stephane Buttigieg

Stéphane Buttigieg • Libeo

Publié le | Mis à jour le

Depuis que j’ai rejoint la startup Fintech Libeo il y a un an, mon radar de Chercheur en économie s’allume régulièrement pour capter les tendances business. Ma veille vise en particulier le secteur de la restauration, un monde qui bouillonne non-stop et se digitalise à la vitesse de l’éclair.

Notre CEO Pierre Dutaret m’avait d’ailleurs confié que son idée business lui était venue au moment où il avait monté un restaurant, éreinté par la logistique liée aux factures.

Et donc, la dernière tendance en restauration, c’est sans conteste celle des dark kitchens ou « cuisines fantômes », un modèle digital de cuisine optimisée, sans restaurant physique, et fortement précipité par l’essor des livraisons.  

Chaînes de restaurants ayant pignon sur rue, groupes immobiliers, concepts de marques 100 % virtuelles, grands chefs : tout le monde se met aux dark kitchens ! Ces cuisines sans salle ni serveurs et économes en coûts rebattent de fond en comble les cartes du secteur.

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La pandémie et l’essor des livraisons ont précipité la tendance des dark kitchens

« Avec la Covid, le réflexe livraison s’est installé. Les restaurateurs ont accéléré la digitalisation de leur offre ou/et ont essayé de nouveaux modèles pour aller chercher un complément de revenus dans leur zone de chalandise. »

Pendant la pandémie, certains restaurateurs se sont lancés en pionniers agiles dans la digitalisation de leur business et ont misé sur les livraisons lors des fermetures de restaurants et autres restrictions imposées. De là est né un constat : on peut faire tourner un restaurant sans serveurs et sans salle. Vendre et livrer en optimisant ses coûts. 

Je me suis donc demandé tout bêtement si les dark kitchens étaient un épiphénomène ou une tendance de fond. J’ai eu l’occasion d’en parler avec Alexandre Maizoué, l’homme de la situation. Après avoir dirigé La Pataterie et Planet Sushi, il reste fortement connecté à l’écosystème restauration et food tech. Il est entre autres Senior Advisor du cabinet de conseil Food Service Vision, de l’enseigne de livraison Stuart et connaît très bien l’univers des dark kitchens. Il m’a brossé le tableau d’un secteur qui se transforme à vue d’œil, et je peux dire que cela valait le détour. 

Comme il me le confirme, cette tendance planétaire a été accélérée par la pandémie. Après la réouverture des commerces et restaurants, le consommateur a changé ses habitudes et le réflexe livraison s’est installé. Certains restaurateurs ont ainsi réalisé un complément de revenus dans la même zone de chalandise via la création d’une ou plusieurs marques virtuelles.

Restaurants virtuels et dark kitchens se multiplient 

On a observé l’émergence d’espaces entièrement pensés et dédiés pour la préparation de plats voués à être livrés et orientés rentabilité. Il en existe plusieurs types.

Les dark kitchens opérationnelles hébergent et commercialisent des marques, avec ou sans leur personnel. Le modèle de base est simple : je prends un fonds de commerce sur un emplacement stratégique (périphérie de grande ville par exemple), sans accès clients, que je connecte aux plateformes de livraison pour commercialiser mes marques virtuelles. Certaines dark kitchens se spécialisent sur un produit, comme Napoli Gang, dont l’offre se concentre sur les pizzas en livraison. 

Original Food Court (OFC) a pris le pari de déployer des marques à partir d’un laboratoire fantôme positionné dans des lieux stratégiques de type centre-ville pour livrer facilement des marques qui ont déjà une histoire. Une dark kitchen atteint son point mort à plus de 100 commandes par jour.

Les restaurants virtuels, un marché qui ne fait que commencer

  • 56 000 marques présentes sur les plateformes tierces (Uber Eats, Deliveroo, Just Eat) au T4/2021 : 
  • 11,6 % (6 500) sont des marques virtuelles envoyées depuis des restaurants en brick and mortar 
  • 2,3 % (1 300) proviennent de 150 pures dark kitchens qui exploitent en moyenne 7 marques par adresse.

Source : Food Service Vision (Extrait Data Factory Delivery T4/2021)

La promesse des dark kitchens : permettre le lancement d’une marque virtuelle à moindres risques

Les laboratoires Foodlab proposent aux restaurateurs un accès complet à leurs infrastructures en se libérant de toute contrainte 

« Le défi est attractif pour quelqu’un qui se lance : en quelques semaines, dans une cuisine de 18 m2, muni d’un peu de matériel et de deux cuisiniers, vous ouvrez vos comptes auprès des plateformes tierces et l’aventure peut commencer ». 

Les géants de la livraison et les groupes immobiliers n’ont pas tardé à s’emparer de la tendance, pour créer des dark kitchens immobilières. Le modèle consiste à louer d’immenses cuisines à la découpe à des restaurateurs, un peu à la « Wework ». Ces derniers ont accès à toutes les infrastructures (stockage et chambres froides, commis partagés) et à un système IT connecté avec les agrégateurs de commande.

Historiquement, les sociétés de type Just Eat, Deliveroo ou Uber Eats formaient un maillon de la chaîne de valeur bien à part et éloigné des marmites. Or, dans l’écosystème des dark kitchens, ces sociétés maîtrisent un maillon clef devenu incontournable : des flottes de livreurs et des algorithmes optimisés pour réduire le temps de trajet. Côté entrepreneurs/restaurateurs, les investissements de départ sont minimes, voire nuls, comme me l’explique Alexandre Maizoué. « Le défi est attractif pour quelqu’un qui se lance : en quelques semaines, dans une cuisine de 18 m2, muni d’un peu de matériel et de deux cuisiniers, vous ouvrez vos comptes auprès des plateformes tierces, et l’aventure peut commencer. Parfois, la cuisine est même mise à disposition du restaurateur par des géants de la livraison, moyennant l’exclusivité donnée à la plateforme et le paiement d’une commission majorée à chaque commande », précise-t-il. 

Deliveroo a ouvert son troisième site de cuisines partagées en avril 2021 en région parisienne (Seine–Saint-Denis). Aubervilliers et ses 89 000 habitants représentent un marché important sous-alimenté en termes de livraisons. 

Ces cuisines partagées offrent un système rôdé avec onboarding d’une enseigne en 3 semaines, espaces clef en main (…).  

Les groupes immobiliers ne sont pas en reste : Cooklane, Kitch’n Box ou Foodlab ont fait surgir de terre des cuisines partagées 100 % dédiées à la restauration livrée. Le système rôdé avec onboarding d’une enseigne en quelques semaines attire des entrepreneurs qui mutualisent leurs risques

Ces « nouvelles » cuisines s’adressent :

  • soit à des entrepreneurs qui souhaitent lancer leur marque virtuelle de plats à livrer
  • soit à des restaurants existants désireux d’élargir leur maillage territorial. 

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Les marques déjà bien implantées dans le paysage restent concernées par la tendance des dark kitchens. Les restaurateurs ayant pignon sur rue peuvent conquérir de nouvelles zones géographiques en confiant leur carnet de recettes à une dark kitchen qui sera chargée de concevoir et livrer les plats selon un cahier des charges établi. Ainsi en France, OFC déploie entre autres les burgers de PNY et les sushis de Matsuri. 

Même de grands chefs de la gastronomie s’y mettent. Ainsi, Gregory Marchand (qui opère via OFC) propose désormais une offre de plats gourmets adaptés à la livraison à une nouvelle clientèle éloignée de ses restaurants du centre-ville.

Les plats raffinés de Gregory Marchand sont désormais disponibles en livraison

Imaginez une enseigne de province, qui regarderait la région parisienne : avec une dizaine de dark kitchens bien ciblées (à l’appui des datas des plateformes), elle pourrait potentiellement livrer tout Paris et sa première couronne… Avec des coûts divisés par 10 !

Ces concepts business d’emblée digitalisés sont reliés aux plateformes de livraison. Même la comptabilité s’en trouve simplifiée : le restaurateur reçoit la liste des transactions à la semaine ou à la quinzaine, avec le détail des commissions directement prélevé par les plateformes de livraison. 

« Intégrer une dark kitchen, c’est aussi une façon de tester son offre et sa marque sur une nouvelle zone de chalandise », m’explique Alexandre Maizoué. « Le restaurateur tente de fidéliser une clientèle avant de penser y implanter peut-être un jour, un restaurant en dur, avec tout ce qu’il comporte en termes de coûts fixes (achat du fonds de commerce, travaux, matériel…). » 

Les host kitchens : un modèle hybride qui réintègre les restaurants physiques existants dans l’équation

Certaines cuisines fantômes viennent de pivoter vers le modèle surprenant de Host Kitchen : des marques virtuelles créées de toutes pièces viennent s’installer dans des restaurants physiques existants. Pour un restaurateur de quartier, l’opportunité consiste à rentabiliser les ressources disponibles dans sa cuisine en faisant un chiffre d’affaires complémentaire

C’est le monde à l’envers : ces nouveaux opérateurs s’introduisent dans les cuisines de restaurants existants sur toute la France, pour livrer leurs marques. C’est le pari de Futurefoods, Taster ou encore Not so dark, qui après avoir exploité directement leurs dark kitchens et leurs propres marques virtuelles, viennent de pivoter. Désormais leur modèle repose sur une stratégie clef en main de lancement de concept (type de cuisine, menu pensé pour la livraison, modèle économique, briques technologiques, plan marketing avec choix des influenceurs qui vont populariser la marque).

Cette tendance permet à de nombreux établissements d’augmenter leur chiffre d’affaires grâce à la digitalisation de l’industrie. Il suffit pour cela de quelques mètres carrés disponibles dans une cuisine existante, et tout va être processé, optimisé pour leur permettre d’envoyer les commandes de la ou des marques virtuelles choisies, dans les meilleurs délais.   

Ainsi, vous pouvez commander le couscous de la mère de Gad Elmaleh dans 28 villes en France. Les plats sont préparés dans des restaurants franchisés qui reçoivent tous les mêmes produits, et suivent une formation pour reproduire à l’identique les recettes de Régine, la maman de l’humoriste. Les clients passent commande via Deliveroo ou retirent directement leur achat dans le restaurant partenaire. 

Le modèle évolue dans les deux sens : les restaurants se digitalisent, et les marques virtuelles se raccordent à l’industrie traditionnelle des établissements de quartier.

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